BENI/LUBERO – La colère a pris les couleurs de la fumée noire et des flammes. Ce lundi, les jeunes de Beni ont transformé les artères de leur ville en champ de protestation. Pneus brûlants, barricades dressées comme autant de symboles du désespoir : le Nord-Kivu entier semble avoir atteint son point de rupture. La recrudescence des massacres dans la région a poussé la population dans ses derniers retranchements.
Tandis que Beni brûlait de rage, le territoire voisin de Lubero, lui, saignait dans le silence. Dans la nuit de dimanche à lundi, les rebelles ADF ont frappé le village de Mukondo. Le bilan est lourd : dix-sept civils tués, huit blessés, un hameau réduit en cendres. La société civile locale égrène les chiffres avec une lassitude macabre, comme on lit un bulletin de décès devenu trop familier.
La rue comme ultime recours
À Beni, ce n’est plus une manifestation, c’est un cri. Un cri qui dit l’échec de toutes les promesses, l’impuissance de toutes les forces déployées. « On ne peut plus continuer à enterrer nos parents chaque semaine », lance un jeune manifestant, le visage masqué par la fumée. Les barricades ne visent plus seulement à bloquer la ville, mais à rendre visible une souffrance que Kinshasa semble ignorer.
La région vit un paradoxe tragique : plus les forces se déploient – armée congolaise, contingents régionaux –, plus l’insécurité s’enracine. Les ADF, ces fantômes qui hantent la forêt équatoriale, frappent avec une régularité de métronome, comme s’ils narguaient l’État censé les combattre.
Mukondo, dernier chapitre d’une longue tragédie
À Mukondo, les cendres sont encore chaudes. Quatre motos calcinées, une dizaine de maisons réduites en miettes. Les survivants racontent une attaque d’une violence inouïe, menée par des hommes déterminés. « Ils sont venus vers 22 heures, armés de machettes et de fusils. Ils frappaient partout, sans distinction », témoigne un rescapé, encore sous le choc.
Le territoire de Lubero, pourtant voisin de Beni où sont basées les forces de l’ordre, semble livré à lui-même. Les attaques se succèdent, les bilans s’alourdissent, et la colère gronde. « Nous sommes fatigués d’entendre les mêmes condoléances après chaque massacre », déplore un leader communautaire.
L’heure des comptes
Sur les barricades de Beni, un mot d’ordre circule : assez de discours, des actes. La population n’attend plus les traditionnelles promesses gouvernementales, mais des résultats concrets. Près de dix ans après le début de la campagne militaire contre les ADF, le calvaire des civils continue, s’amplifie même.
Le Nord-Kivu, riche de ses terres et de ses minerais, est devenu le théâtre d’une guerre sans fin. Aujourd’hui, ses habitants rappellent au pouvoir central qu’on ne gouverne pas un peuple qui n’a plus peur. Que la colère, parfois, est le dernier rempart contre l’oubli. La question qui brûle toutes les lèvres désormais : jusqu’où faudra-t-il descendre dans l’horreur pour que cesse l’indifférence ?