L’accord de Washington n’est ni un accident diplomatique ni un simple épisode de désescalade. Il consacre un basculement plus profond : la reconnaissance de Kinshasa comme acteur central et crédible de la stabilité des Grands Lacs. En choisissant de faire de Félix Tshisekedi l’interlocuteur pivot, l’administration américaine – sous l’impulsion directe de Donald Trump – a acté une réalité stratégique longtemps différée : le Congo n’est plus un problème à gérer, mais une solution qu’il faut aider à structurer.
La décision de Washington s’inscrit dans une logique de bon sens stratégique chère à Donald Trump. Depuis sa première présidence, celui-ci n’a cessé de marteler une ligne simple : la stabilité passe par des États responsables, identifiables, capables de tenir leurs engagements. « We want stability, not endless games », a-t-il résumé lors des discussions ayant conduit à l’accord, selon des propos rapportés par plusieurs sources diplomatiques américaines. Derrière la formule, une rupture nette : la fin de la tolérance pour les stratégies régionales fondées sur le déni et les arrangements.
Dans ce cadre, Félix Tshisekedi est apparu comme l’homme du réel. Un dirigeant élu, réélu, qui parle le langage de l’État, accepte les mécanismes multilatéraux et inscrit son action dans le temps long. À Washington, cette lisibilité compte davantage que la rhétorique. Trump l’a exprimé à sa manière, évoquant un président congolais « legitimate, clean, working for his people », selon des propos rapportés par des participants aux échanges. Le jugement n’est pas moral : il est opérationnel. Les États-Unis ont besoin de partenaires fiables, non de récits héroïques.
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Kagame, ou l’épuisement d’une stratégie fondée sur la mémoire
À l’inverse, Paul Kagame reste prisonnier d’un logiciel stratégique hérité des années 1990. Le génocide rwandais demeure une tragédie absolue, mais son instrumentalisation permanente comme clé de lecture unique de la région montre aujourd’hui ses limites. Kigali a longtemps su jouer de la culpabilité occidentale – notamment française – pour neutraliser les critiques et justifier des zones grises à l’Est du Congo. Cette stratégie a produit des résultats (certes désastreux pour les populations, massacrées, déplacées par millions). Elle arrive à saturation.
Washington ne raisonne ni en termes de repentance ni en termes de dette mémorielle. L’approche trumpienne est frontale : qui stabilise, qui complique, qui assume. En soutenant indirectement des groupes armés tout en revendiquant un rôle de garant sécuritaire, le Rwanda a fini par brouiller son propre message. Là où Kagame invoque l’Histoire, Tshisekedi propose un cadre. Et dans une diplomatie américaine obsédée par la clarté des responsabilités, ce différentiel est décisif.
Tshisekedi, incarnation d’un État redevenu lisible
Le repositionnement de la RDC repose sur une stratégie patiente : dire le droit, produire la preuve, tenir la ligne. Félix Tshisekedi ne promet pas des miracles sécuritaires immédiats. Il promet la cohérence. Dans son discours à la Nation, le 8 décembre dernier, il a posé une qualification sans ambiguïté : une guerre d’agression par procuration visant la souveraineté congolaise. Ce choix de mots n’est pas anodin. Il permet de déplacer le débat du registre émotionnel vers celui de la responsabilité internationale.
C’est précisément ce déplacement que Washington a validé. En consacrant Kinshasa comme pivot, l’accord de Washington reconnaît implicitement que la stabilité régionale passe par un État congolais renforcé, non par des arrangements périphériques. Trump l’a formulé dans un registre simple et direct qui lui est propre : « Borders have to be respected », rappelant que le respect des frontières n’est pas une option mais une règle. Pour les États-Unis, la RDC a désormais un droit clair : celui d’exister pleinement comme État souverain.
La fin de l’hésitation occidentale
Ce choix américain met aussi la France face à ses propres ambiguïtés. Longtemps paralysée par une culpabilité mal refermée, Paris a hésité à regarder en face la réalité congolaise. Cette hésitation devient intenable. Le rapport de force international évolue. L’axe Washington–Kinshasa impose un nouveau cadre dans lequel les non-dits ne tiennent plus lieu de politique.
L’accord de Washington ne règle pas la crise du Kivu. Il fait mieux : il fixe qui compte et selon quelles règles. En cela, il consacre une victoire stratégique de Félix Tshisekedi. Non parce qu’il aurait écrasé ses adversaires, mais parce qu’il a su convaincre la première puissance mondiale qu’il incarnait le pragmatisme, la légitimité et le bon sens.
Dans un monde où la géopolitique revient à des fondamentaux simples – États, frontières, responsabilités – Kinshasa a retrouvé sa place. Et Washington l’a acté.
