Un parfum d’injustice flotte sur Kinshasa. Tandis que Constant Mutamba, ministre d’État à la Justice, est cloué au sol par une interdiction de sortie du territoire et poursuivi pour le détournement de 19 millions de dollars, Nicolas Kazadi, ex-ministre des Finances, visé par des soupçons portant sur plus de 500 millions de dollars, circule librement, intouchable derrière son immunité. Deux dossiers. Deux ministres. Deux poids, deux mesures.
Mutamba ciblé, Kazadi épargné : à qui profite la justice ?
Le 15 juin 2025, l’Assemblée nationale autorise à une écrasante majorité les poursuites contre Mutamba. L’accusation ? Avoir payé 19 millions de dollars à une société fictive pour construire une prison fantôme à Kisangani. Dans la foulée, la Direction générale de migration lui interdit de quitter Kinshasa. La procédure judiciaire est lancée.
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Mais dans ce pays où la corruption est endémique, cette rigueur soudaine de la justice interroge. Car Nicolas Kazadi, soupçonné d’avoir orchestré des surfacturations massives et des opérations financières troubles à hauteur de demi-milliard de dollars, reste curieusement épargné. L’Assemblée nationale a bloqué les poursuites contre lui, au motif que ses propos critiques ne relèveraient pas du pénal. Pourtant, la question n’est pas ce qu’il a dit, mais ce qu’il aurait fait.
Justice ou règlement de comptes ?
Les rues de Kinshasa murmurent. Dans les salons comme dans les taxis, on s’interroge : pourquoi le ministre de la Justice, qui voulait réformer le système judiciaire et s’était attaqué à certaines « intouchables » de la magistrature, devient-il soudain la cible d’un zèle judiciaire inédit ? Pour beaucoup, derrière l’affaire Mutamba, se cache une cabale politique.
Même le ministre rwandais des Affaires étrangères s’est permis un commentaire jubilatoire, saluant sur X la « chute » de Mutamba comme un juste retour de bâton pour ses positions « xénophobes et anti-Rwanda ». Depuis quand le Rwanda célèbre les procès de nos ministres ? Et surtout, pourquoi ?
Une justice sélective qui entame la crédibilité de l’État
Si la RDC veut restaurer l’autorité de la justice, elle doit le faire sans calcul ni favoritisme. Il ne peut y avoir d’un côté un ministre transformé en bouc émissaire, et de l’autre un ancien argentier protégé par ses réseaux, son silence… et ses secrets.
« Ce n’est pas la force de Kazadi qui le protège, mais ce qu’il sait », tranche l’analyste Éric Kamba. « Il connaît le système. Il le tient. Et le système le protège. »
Pendant ce temps, des millions de Congolais vivent dans la misère, sans eau, sans soins, pendant que les élites jonglent avec les milliards.
Une justice au service du peuple… ou des équilibres politiques ?
Le contraste entre les deux cas est saisissant. Mutamba a été lâché par l’Assemblée. Kazadi a été couvert. Pourtant, si l’un a autorisé un paiement douteux, l’autre est soupçonné d’avoir saigné l’État en silence, lampadaire après lampadaire, marché après marché.
Si la loi est vraiment la même pour tous, Kazadi devrait répondre devant les juges. Pas sur les plateaux. Pas dans les réseaux. Mais dans un prétoire.
La RDC face à son miroir
La lutte contre la corruption ne se mesure pas aux discours ni à la tête de l’accusé. Elle se mesure à la cohérence de l’action judiciaire. Et pour l’instant, celle-ci donne le sentiment d’une justice à géométrie variable, instrumentalisée selon les intérêts du moment.
Le peuple observe. Les procureurs ont la balle. Et l’Histoire jugera ceux qui ont préféré protéger les puissants plutôt que servir la vérité.