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Wazalendo :Quand la loyauté à un prix – Les milices posent leurs conditions à Kinshasa

Dans l’Est congolais en feu, les milices Wazalendo, ces combattants populaires surgis de la colère civile, viennent de présenter la…

Dans l’Est congolais en feu, les milices Wazalendo, ces combattants populaires surgis de la colère civile, viennent de présenter la note à Kinshasa. Leur mémo, adressé directement au président Félix Tshisekedi, est un pavé dans la mare des stratégies de sécurité nationale. S’ils jurent encore fidélité à la République, c’est désormais à une condition : que le pouvoir achète leur allégeance en monnaie sonnante et trébuchante – pouvoir politique, postes institutionnels, et mainmise sur la gestion territoriale.

La scène se passe à Uvira, ville-carrefour au bord du lac Tanganyika, où les tensions ont récemment explosé autour de la présence contestée du général Olivier Gasita. L’épisode n’était qu’un prélude. Aujourd’hui, les Wazalendo formalisent leurs exigences. Et le catalogue est éloquent.

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Du fusil au bureau : les revendications d’un État dans l’État

Leur liste va bien au-delà des simples considérations tactiques. Ils demandent l’interdiction pure et simple des mouvements de population en provenance des zones tenues par le M23 – une mesure radicale qui signerait l’entérinement de la partition de fait de la région.

Ils exigent que les autorités déployées à Uvira y résident réellement, et non confortablement installées à Bujumbura, la capitale voisine du Burundi. Un camouflet cinglant pour une administration souvent perçue comme lointaine et déconnectée.

Surtout, ils revendiquent le droit de déployer leurs propres hommes aux entrées stratégiques du Sud-Kivu, s’auto-proclamant garde-frontières d’un État défaillant. Mais la véritable bascule se niche plus loin : les Wazalendo ne veulent plus seulement se battre ; ils veulent siéger.

Ils exigent un siège à la table des négociations de paix, notamment à Doha, et réclament l’intégration de leurs cadres politiques « dans les gouvernements national et provincial, les institutions, services étatiques et para-étatiques ». En filigrane, c’est la demande de création d’une quota, d’une rente politique permanente. Pour s’assurer que leurs doléances remontent directement au sommet, ils poussent même pour la nomination d’un « conseiller spécial » dédié à leur cause au niveau de la présidence.

Kinshasa dans l’expectative, la RAD dans les limbes

Pour l’heure, le pouvoir observe, silencieux. Aucune réponse officielle n’a été formulée. Dans l’entourage du président, on botte en touche auprès de RFI, renvoyant la balle vers la Réserve Armée de la Défense (RAD). Cette structure paramilitaire, créée en 2023 précisément pour encadrer et canaliser ces forces populaires, est présentée comme le seul canal légitime. Problème : à Uvira et ailleurs, la RAD n’existe que sur le papier. Elle n’est pas déployée.

Résultat : des milliers de combattants, galvanisés par un sentiment de patriotisme et d’abandon, restent sous le commandement de chefs auto-proclamés. Leur allégeance aux FARDC est ténue, souvent conflictuelle. Ils ne se considèrent pas comme des soldats, mais comme les gardiens ultimes d’une nation qu’ils estiment trahie.

La question qui tue : qui contrôle les contrôleurs ?

La montée en puissance des Wazalendo pose une question vertigineuse : qui contrôle vraiment ces hommes en armes ? Leur présence ne se limite plus aux lignes de front. Des rapports récents d’ONG et de l’ONU les documentent désormais dans les villes, les cités et les villages du Maniema, du Nord et du Sud-Kivu, agissant comme une autorité parallèle.

À Uvira, leur influence est palpable, leur pouvoir d’intimidation, réel. Leur récent affrontement avec le général Gasita n’était qu’un avertissement.

Kinshasa se trouve ainsi piégé. Il a encouragé l’émergence de ces milices pour contrer l’avancée du M23, mais il voit aujourd’hui se dresser une hydre à plusieurs têtes, exigeante, imprévisible et structurellement hostile à toute autorité qui n’émanerait pas d’elle-même.

En leur cédant, le pouvoir officialiserait la milicisation de l’État. En les réprimant, il risquerait de retourner contre lui des forces qu’il a lui-même armées et légitimées.

Le mémo des Wazalendo n’est donc pas une simple liste de demandes. C’est un ultimatum. La balle est désormais dans le camp de Félix Tshisekedi. Sa réponse, ou son silence, dessinera le visage futur de l’Est congolais : un État de droit, ou un marché de dupes où la violence négocie son prix au plus offrant.

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