KINSHASA – Sous les hauts plafonds du Palais du Peuple, le silence se fait lourd, presque palpable. Ce mercredi de rentrée judiciaire, la solennité des robes écarlates et noires ne parvient pas à masquer le poids d’un constat accablant. D’une voix ferme, portée par l’écho des lieux, le procureur général Firmin Mvonde lance un assaut frontal contre un vide juridique qui paralyse la République : l’absence d’une infraction autonome pour l’enrichissement illicite.
Face aux plus hautes autorités judiciaires du pays, le magistrat transforme sa traditionnelle « mercuriale » en un réquisitoire implacable. Il dépeint l’enrichissement illicite non comme un délit technique, mais comme le symptôme flagrant, la manifestation ostentatoire d’un mal qui ronge les institutions. « Un accroissement injustifié du patrimoine d’un agent public par rapport à ses revenus légaux », martèle-t-il, définissant ainsi le contour d’un crime presque parfait, car si visible, et pourtant, si difficile à punir.
LA SUITE APRÈS LA PUBLICITÉ
Le procès d’un vide législatif
Dans l’auditoire, ses paroles résonnent comme un aveu d’impuissance et un appel à la révolte. Sans ce texte spécifique, comment traquer ces fortunes qui jaillissent du néant ? Comment demander des comptes à ceux dont le train de vie défie toute logique salariale ? « L’intérêt de la répression de l’enrichissement illicite se trouve dans la gravité des faits commis », insiste-t-il, soulignant l’urgence d’une prise de conscience face à l’ampleur de ce fléau.
Mais Firmin Mvonde n’est pas qu’un procureur qui dénonce. C’est un stratège qui propose. Conscient des failles, il esquisse l’architecture d’une contre-offensive judiciaire. Il plaide pour la création d’un Corps de magistrats spécialisés, une unité d’élite capable de traquer les flux financiers opaques et les patrimoines inexplicables. Cette phalange, formée aux arcanes de la finance, serait l’embryon d’un futur « parquet financier », une arme lourde dans la guerre que mène l’État contre la délinquance économique.
Une justice en recomposition
Ce discours, puissant et rare, ne résonne pas dans le vide. Il s’inscrit dans u n n moment de tension et d’attentes, alors que la population exige toujours plus de transparence et de reddition des comptes. Le chef de l’État, Félix Tshisekedi, présent, écoute. La justice, par la voix de son procureur général, affirme sa volonté d’accompagner « les efforts du président pour l’établissement d’un État de droit ».
Dans l’ombre de ce combat contre l’enrichissement illicite, d’autres batailles se dessinent. Le bâtonnier national, Michel Shebele Makoma, monte à son tour à la tribune pour fustiger une autre entrave : la « procédure de la prise à partie », qu’il décrit comme un « véritable handicap », une « voie détournée pour faire annuler les décisions judiciaires ». Un autre front juridique s’ouvre, témoignant des multiples réformes nécessaires pour dépoussiérer l’appareil judiciaire.
Le premier président de la Cour, Élie Léon Kabeya, enfonce le clou en pointant du doigt une autre ombre au tableau : la profession d’avocat. Il évoque, sans détour, les « avocats corrupteurs » et ceux qui montent des « stratégies de dénonciation mensongère ». Son vœu ? Un réexamen en profondeur de la loi sur le barreau, pour retrouver les « vertus qui ne se négocient pas ».
Ce jour-là, au Palais du Peuple, la rentrée judiciaire a transcendé le simple rituel protocolaire. Elle est devenue le théâtre d’une introspection nationale. Firmin Mvonde, en brandissant l’étendard de la lutte contre l’enrichissement illicite, n’a pas seulement dénoncé une faille juridique. Il a mis en lumière le paradoxe d’une République qui voit ses fantômes, mais qui, privée de la bonne arme, ne peut encore les faire disparaître. Le chemin vers la rédemption judiciaire est long, mais le premier acte, celui de la parole, vient d’être franchi.