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Le jeu d’échecs de Washington : comment les États-Unis veulent désamorcer la bombe des Grands Lacs

Jeudi 4 décembre 2025, Washington s’apprête à réécrire l’histoire des Grands Lacs africains. Dans le Bureau ovale, Donald Trump recevra…

Journal de Kinshasa

Jeudi 4 décembre 2025, Washington s’apprête à réécrire l’histoire des Grands Lacs africains. Dans le Bureau ovale, Donald Trump recevra Antoine Tshisekedi et Paul Kagame pour une rencontre présentée comme décisive pour l’Afrique centrale. Derrière les gestes protocolaires, un scénario refait pourtant surface. Il rappelle celui de 2002, lorsque Washington avait obligé Kigali à retirer ses 23 000 soldats du Congo en moins de trois mois.

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Le manuel de 2002 : la partition que Washington ressort

En 2002, l’administration Bush avait imposé un retrait rwandais grâce à une stratégie directe et redoutablement efficace. Les États-Unis exploitaient alors la dépendance totale du Rwanda à leur soutien militaire, financier et diplomatique. Ils menaçaient de suspendre toute coopération si Kigali résistait. Parallèlement, la RDC acceptait de désarmer les milices ex-FAR et Interahamwe sous la supervision stricte de la MONUC. Des mécanismes de vérification rigoureux empêchaient aussi le retour discret des troupes rwandaises.

Aujourd’hui, la Maison-Blanche ressort la même méthode. Cependant, les enjeux ont profondément changé. Le cobalt, le lithium et le tantale de l’Est congolais sont devenus essentiels à la transition énergétique mondiale. Ces minerais stratégiques représentent désormais une priorité pour les États-Unis. Cette réalité explique l’implication personnelle du président Trump.

La double rhétorique de Kagame : un discours évolutif pour un objectif constant

Les justifications du Rwanda ont peu changé. En 2002 comme en 2025, Kigali évoque la menace persistante des FDLR et accuse Kinshasa de soutenir ces milices. Toutefois, Paul Kagame ajoute aujourd’hui un nouvel argument : la protection des communautés banyamulenge. Il affirme que cette minorité tutsie congolaise vit sous oppression et fait face à des menaces graves. Cette double narration lui permet de légitimer son ingérence, tout en préservant l’accès du Rwanda aux minerais stratégiques et en maintenant son influence régionale.

Le dilemme de Kagame : les ressources contre la survie diplomatique

Pour forcer Kigali à signer un nouvel accord, Washington modernise ses pressions. D’abord, il coordonne son action avec l’Union européenne, le Royaume-Uni, la France, le Canada et plusieurs pays africains. Cette coalition isole progressivement le Rwanda et agite la menace d’une marginalisation économique et diplomatique.

Ensuite, les États-Unis proposent une alternative sécuritaire. Avec la RDC et l’Union africaine, ils s’engagent à neutraliser la menace des FDLR. Cette démarche retire à Kigali son principal prétexte. En parallèle, des garanties solides protègent toutes les communautés civiles, y compris les Banyamulenge. Ainsi, Kagame perd aussi son argument humanitaire.

Face à cette pression, le président rwandais se retrouve dans une impasse. Un refus ferait perdre à son régime le soutien américain pourtant indispensable. Il risquerait également des sanctions économiques et une exclusion progressive de l’Union africaine. Accepter l’accord, en revanche, signifierait un recul stratégique majeur. Kigali perdrait son influence en RDC, ses circuits miniers parallèles et son rôle clé dans la sécurité régionale.

Tshisekedi : entre victoire diplomatique et défi titanesque

Si l’accord voit le jour, Félix Tshisekedi remportera une victoire historique. La souveraineté congolaise sur l’Est du pays serait enfin reconnue et restaurée. Toutefois, les défis à venir seront immenses. Le président devra démanteler des réseaux politico-militaires ancrés depuis trois décennies. Il devra aussi récupérer les zones contrôlées par le M23 sans créer un vide sécuritaire. De plus, il devra prouver que la RDC ne soutient pas les FDLR. Sans cette preuve, Kigali retrouverait immédiatement des arguments. Enfin, rétablir l’autorité de l’État dans des zones longtemps échappées au contrôle gouvernemental sera probablement l’étape la plus complexe.

Washington, laboratoire de la nouvelle géopolitique des ressources

Cette rencontre dépasse largement le conflit RDC–Rwanda. Elle sert de test pour mesurer la capacité des États-Unis à imposer un ordre stable dans une région cruciale pour leurs chaînes d’approvisionnement. Elle évalue aussi leur aptitude à gérer un allié devenu embarrassant sans provoquer son effondrement. Enfin, elle inaugure un modèle de résolution de conflits fondé sur une pression diplomatique concertée et des garanties sécuritaires renforcées.

La réussite de cette stratégie se mesurera dans les six mois suivant la signature. Les indicateurs seront clairs : un retrait effectif du M23 des zones minières, la fin du soutien rwandais aux rebelles et une amélioration tangible de la situation à Goma, Bukavu et dans les zones voisines.

En 2002, Washington avait démontré qu’il pouvait contraindre Kigali à retirer ses troupes. En 2025, il veut prouver qu’il peut créer les conditions d’une paix durable. La mission est plus complexe. Il ne s’agit plus seulement de retirer des soldats, mais de bâtir un système politique, sécuritaire et économique assez solide pour empêcher leur retour.

Jeudi, à Washington, ce n’est pas seulement l’avenir de l’Est congolais qui se joue. C’est une démonstration : dans la géopolitique du XXIᵉ siècle, les ressources stratégiques redessinent la diplomatie. Elles imposent un mélange de coercition et d’incitation. Les leçons de 2002 planent encore dans le Bureau ovale. Pour Paul Kagame, face à Donald Trump, cette ombre sera aussi lourde que les satellites et drones qui surveilleront désormais chaque mouvement à la frontière entre le Rwanda et la RDC.

 

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