À la veille de la signature historique de l’accord de paix entre la RDC et le Rwanda à Washington, l’opposition congolaise fait entendre sa voix. Moïse Katumbi, Denis Mukwege et Martin Fayulu ont tous exprimé, à leur manière, des réserves et des exigences à quelques heures seulement de la rencontre entre les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame dans le bureau ovale.
Moïse Katumbi : « Le pays va très mal »
L’opposant Moïse Katumbi a dressé un tableau alarmant de la situation nationale, bien au-delà du conflit à l’Est. « Le pays va très mal, le pays va mal surtout à l’est de notre pays et aussi à Kinshasa, les Mobondo dans le Kwango, le pays va mal avec les inondations, les ADF, beaucoup de morts, il n’y a plus de sécurité, l’État n’existe plus, la population est abandonnée. »
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Face à cette crise multiforme, Katumbi appelle à l’unité et à la priorisation : « L’heure est grave, nous devons nous mettre autour d’une même table, nous devons parler de notre pays. Le problème en interne est plus grave qu’à l’Est de notre pays. »
S’il salue l’initiative américaine, il la juge insuffisante. « L’accord de Washington doit être accompagné d’un dialogue inclusif pour rassurer les investisseurs. » Pour lui, cet élargissement du dialogue n’a pas pour but de « partager le pouvoir », mais de « contribuer au retour de la paix dans l’Est du pays ».
Denis Mukwege : « La guerre s’intensifie » malgré les pourparlers
Le prix Nobel de la paix Denis Mukwege a, lui, tiré la sonnette d’alarme sur l’intensification paradoxale des violences à l’Est à la veille de la signature. « La guerre s’intensifie dans les Kivu où la population subit une immense souffrance et meurt comme des mouches sous les bombes des belligérants. »
Il cite notamment les localités de Kaziba, Katogota et Kamanyola au Sud-Kivu, où selon la société civile locale, « plus de 20 civils ont été tués y compris les femmes et les enfants » ce 2 décembre. Mukwege insiste sur l’exigence de justice : « Il n’y aura pas de paix sans justice. Une enquête indépendante s’impose sans tarder pour traduire les responsables en justice. »
Martin Fayulu et Prince Epenge : l’exigence de transparence et de fermeté
Martin Fayulu, autre figure majeure de l’opposition, exige quant à lui une transparence totale sur le contenu de l’accord. « Nous disons à Monsieur Félix Antoine Tshisekedi que les Congolais ont le droit de connaître le contenu réel du projet d’accord que vous envisagez de signer avec Paul Kagame à Washington. »
Cette exigence fait écho aux déclarations du président Tshisekedi lui-même, qui a assuré à la diaspora congolaise en Serbie que « l’accord à signer ce jeudi 4 à Washington avec le Rwanda ne sera mis en œuvre qu’une fois que le Rwanda aura totalement retiré ses forces du territoire de la RDC, et ça, c’est indiscutable. »
Du côté de la coalition Lamuka, son porte-parole Prince Epenge va plus loin en qualifiant le projet d’accord de « déséquilibré » et de « prime à Paul Kagame ». Il appelle à sa renégociation et pose cinq conditions préalables à toute signature :
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Le retrait total des militaires rwandais du Congo
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Le renforcement de l’esprit et de la lettre de la résolution 2773 de l’ONU
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Aucune coopération économique avec le Rwanda tant que le conflit perdure
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La promotion d’un dialogue inter-rwandais plutôt qu’une responsabilisation exclusive de la RDC sur les FDLR
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L’inclusion de garanties de non-récidive de la part du Rwanda
Une opposition unie dans l’inquiétude, divisée dans les solutions
À quelques heures du sommet de Washington, l’opposition congolaise apparaît unie dans son inquiétude face à un accord dont les détails restent opaques, mais diverge sur les solutions. Tous partagent cependant un même constat : aucun accord diplomatique ne pourra à lui seul résoudre les crises multiformes qui secouent la RDC, de l’Est du pays aux conflits communautaires de l’ouest, en passant par les défis humanitaires et le défi de la reconstruction de l’État.
Leur voix collective constitue un rappel que la légitimité de l’accord de Washington se jouera aussi dans son acceptation par la société congolaise dans toute sa diversité, et dans sa capacité à produire des résultats concrets et vérifiables sur le terrain, loin des salons feutrés de la diplomatie internationale.
