Kinshasa / Uvira — Le calendrier est brutal. Six jours seulement après la signature solennelle de l’accord de paix de Washington, la ville d’Uvira, au Sud-Kivu, est tombée ce mercredi 10 décembre sous le contrôle de la coalition AFC/M23. Une offensive éclair qui a provoqué un exode massif de plus de 200 000 personnes et plongé la région dans une escalade qualifiée de « dramatique » par Kinshasa.
Dans un communiqué cinglant, le gouvernement congolais a dénoncé une offensive généralisée menée par les Forces de défense du Rwanda (RDF) et le M23 sur l’axe Kamanyola-Uvira. Il accuse l’armée rwandaise d’avoir utilisé des drones kamikazes et d’autres armes « tactiques », causant des pertes civiles considérables et violant ouvertement le cessez-le-feu. Pour Kinshasa, le président rwandais Paul Kagame a « tourné le dos » à l’accord à peine une semaine après l’avoir signé.
LA SUITE APRÈS LA PUBLICITÉ
Cette prise de contrôle rapide, intervenue après celles de Goma et Bukavu, n’est pas le fruit du hasard. Elle soulève une question stratégique centrale : quelles sont les intentions réelles de l’AFC/M23 en lançant une telle offensive au mépris d’un accord de paix à peine inké ?
Plusieurs lectures émergent des milieux d’experts et d’observateurs du conflit. La première pointe l’absence de confiance et de sincérité entre les signataires dès l’origine. Selon plusieurs sources, la signature à Washington aurait été le résultat d’une forte pression de l’ancien président américain Donald Trump, sans engagement véritable des parties.
La deuxième explication, avancée par l’AFC/M23 elle-même, est d’ordre militaire : il s’agirait de « neutraliser l’équation burundaise ». Le groupe armé considère le Burundi comme une base arrière stratégique des FARDC, fournissant un appui logistique, opérationnel et même aérien. Prendre Uvira, ville frontalière, reviendrait à couper cette ligne de soutien, comme cela a été fait précédemment avec les troupes de la SADC.
La troisième lecture est politique et diplomatique. En démontrant sa puissance militaire, l’AFC/M23 chercherait à forcer la main de Kinshasa dans les négociations en cours, notamment dans le cadre du processus de Doha. L’objectif : obtenir des concessions plus larges et une reconnaissance de son rapport de force sur le terrain.
Face à cette avancée, Kinshasa se retrouve à un carrefour. Va-t-il lancer une contre-offensive militaire risquée, ou accentuer la pression diplomatique sur les garants des processus de Washington et de Doha ? La réponse déterminera non seulement le sort d’Uvira, mais aussi l’équilibre précaire de toute la région des Grands Lacs, déjà secouée par des tirs d’artillerie ayant franchi la frontière burundaise.
Alors que les humanitaires tentent de faire face à un afflux de déplacés dans des conditions précaires, une chose est certaine : la prise d’Uvira n’est pas une fin en soi. C’est un coup stratégique dont les répercussions – militaires, politiques et humaines – sont encore en train d’écrire l’avenir tourmenté de l’Est de la RDC.
