Ce jeudi 4 décembre 2025, dans une atmosphère de glace diplomatique au bureau ovale de la Maison Blanche, une scène pour le moins étrange s’est déroulée. Les présidents Félix Tshisekedi et Paul Kagame ont signé l’accord de paix tant attendu entre la RDC et le Rwanda, mais sans échanger la moindre poignée de main, sans sourire, dans une froideur protocolaire qui en disait long sur l’état réel des relations. Pendant que les deux dirigeants exhibaient fièrement le document signé, une réalité bien plus brutale s’imposait à des milliers de kilomètres de là : les combats s’intensifiaient au Sud-Kivu.
Une signature sous haute tension, une paix déjà mise à l’épreuve
La cérémonie de Washington avait tout du rituel diplomatique forcé. Les images des deux présidents évitant soigneusement tout contact physique, se contentant de brandir l’accord pour les photographes, ont circulé dans le monde entier. Cette froideur visible pose question : peut-on vraiment bâtir une paix durable sur une telle méfiance affichée ?
LA SUITE APRÈS LA PUBLICITÉ
LIRE AUSSI : https://www.journaldekinshasa.com/washington-la-rdc-et-rwanda-tournent-la-page-des-tensions/
À Kinshasa pourtant, l’enthousiasme officiel contraste violemment avec cette scène. André Mbata, secrétaire de l’Union Sacrée, appelle à « célébrer » et à réserver un accueil triomphal au président Tshisekedi à l’aéroport de N’djili, le saluant comme « l’artisan de la fin de 30 ans de conflit ». Mais cet enthousiasme sonne étrangement creux face aux informations qui remontent du terrain.
Le M23, l’absent gênant de l’accord de Washington
Pourquoi l’accord de Washington élude-t-il si soigneusement la question du M23 ? Cette rébellion, que plusieurs rapports internationaux lient à Kigali, constitue pourtant le cœur du conflit à l’Est de la RDC. La position du président kényan William Ruto – « Le M23 n’est pas un problème du Rwanda, c’est une affaire entre Congolais » – offre une échappatoire commode à Kagame, mais elle ne résout rien sur le terrain.
Les accords de Doha, négociés entre la RDC et le M23 sous médiation qatarie, prévoyaient pourtant un cadre précis : cessez-le-feu permanent, déclaration de principes, feuille de route avec 8 protocoles couvrant tous les aspects du conflit. Mais ces engagements restent largement théoriques, et la réalité sur le terrain leur donne un cruel démenti.
Sur le terrain, la guerre continue son cours implacable
Neuf heures seulement après la signature solennelle de Washington, la brutalité de la guerre reprenait ses droits. Ce vendredi à 9h00, le village de Luvungi était sous contrôle des FARDC tandis que Katogota jusqu’à Kamanyola restait aux mains du M23. Vers Kamanyola, une antenne de télécommunication venait d’être touchée par une bombe.
Les habitants de Luvungi, paniqués, fuyaient vers Uvira, certains se dirigeant vers le Rwanda ou le Burundi. Des enfants, des femmes, des personnes à mobilité réduite marchaient sur les routes, fuyant des combats qui, contrairement aux déclarations diplomatiques, ne montraient aucun signe d’apaisement.
Le double jeu décomplexé et ses complices internationaux
Les événements des dernières heures illustrent ce que des observateurs appellent le « double jeu décomplexé » de Paul Kagame : signer la paix à Washington tout en maintenant la pression militaire via le M23. Cette stratégie lui permet de répondre aux exigences diplomatiques américaines sans lâcher ses leviers sur le terrain.
Mais ce double jeu semble trouver des complicités surprenantes. Comment expliquer que Bruxelles, tout en dénonçant régulièrement Kigali, s’apprête à lui octroyer 1 milliard d’euros via le Global Gateway ? Cette contradiction alimente les critiques les plus sévères : « En RDC les massacres continuent, et l’Europe finance les coupables », dénoncent certains analystes.
Deux processus parallèles qui s’ignorent
La coexistence des processus de Washington (entre États) et de Doha (avec le M23) crée une situation de schizophrénie diplomatique. Washington règle les relations interétatiques, Doha traite des questions internes congolaises, mais aucun mécanisme ne relie véritablement les deux processus. Cette disjonction risque de faire échouer les deux initiatives, car la paix ne peut être sectorisée : elle doit être globale ou elle ne sera pas.
Pendant ce temps, comme le constate amèrement un humanitaire sur place, « les combats s’intensifient, les déplacés se multiplient ». La signature de Washington apparaît de plus en plus comme un écran de fumée diplomatique, permettant à chaque partie de revendiquer des avancées de paix tandis que la guerre continue de ravager l’Est congolais.
L’accueil triomphal préparé pour Tshisekedi à Kinshasa risque de sonner cruellement faux face aux images de civils fuyant les combats au Sud-Kivu. La question n’est plus de savoir si l’accord de Washington peut apporter la paix, mais combien de temps il survivra à la contradiction flagrante entre les signatures solennelles et les bombes qui continuent de tomber.
La paix dans les Grands Lacs ne se signera pas dans le bureau ovale, mais dans les collines du Kivu. Et pour l’instant, ces collines résonnent encore du bruit des armes, malgré les beaux discours de Washington et les célébrations prévues à Kinshasa. La véritable épreuve de cet accord ne sera pas son existence sur papier, mais sa capacité à faire taire, enfin, les armes à l’Est de la RDC.
