PARIS. – Le coup de théâtre est venu des avocats de la défense. Alors que s’ouvrait le procès de Roger Lumbala, l’ancien chef rebelle congolais, pour complicité de crimes contre l’humanité, une requête inattendue a suspendu le cours normal des débats : la comparution de Jean-Pierre Bemba, actuel vice-Premier ministre de la RDC. La manœuvre, aussi audacieuse que calculée, transforme soudain ce procès pénal en enjeu diplomatique de premier ordre.
Dans le box des accusés, Lumbala, visage fermé, semble mesurer la portée de cette requête. L’ancien dirigeant du RCD-N, poursuivi pour des crimes commis entre 2002 et 2003 dans l’est de la RDC, ne se contente pas de se défendre. Il contre-attaque en exigeant la vérité de la bouche même de ceux qui, comme lui, ont tenu les rênes du pouvoir durant ces années sanglantes. Outre Bemba, il réclame aussi l’audition de Constant Ndima, ancien gouverneur militaire du Nord-Kivu, et d’anciens membres de son mouvement rebelle.
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Un passe-droit diplomatique
La balle est désormais dans le camp des autorités congolaises. La citation à comparaître, transmise via l’ambassade de France à Kinshasa dans le cadre de l’entraide judiciaire internationale, place le gouvernement de la RDC devant un dilemme cornélien. Accepter de laisser son vice-Premier ministre témoigner dans un procès sensible ? Ou refuser, au risque de crisper les relations avec Paris ?
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En coulisses, la diplomatie française s’était préparée à cette éventualité. L’ambassadeur à Kinshasa avait multiplié les rencontres préventives avec pas moins de trois ministres de la Justice congolais successifs entre avril et septembre 2025. Une valse ministérielle destinée à « prévenir tout malentendu », selon les termes des procès-verbaux. Preuve que Paris anticipait les ondes de choc potentielles de cette affaire.
La mémoire comme stratégie de défense
En réclamant la comparution de Bemba, Lumbala et ses avocats jouent une carte risquée. Ils espèrent sans doute complexifier le procès, y introduire des considérations politiques qui dépassent la seule personne de l’accusé. Jean-Pierre Bemba n’est pas un témoin comme les autres. Ancien chef rebelle lui aussi, condamné puis acquitté en appel par la Cour pénale internationale, il incarne mieux que quiconque les zones d’ombre de cette période troublée.
« Ils veulent faire de ce procès le miroir de toutes les ambiguïtés de la transition congolaise », analyse un observateur judiciaire présent dans la salle. « En convoquant Bemba, Lumbala cherche à montrer que la frontière entre bourreaux et victimes, entre criminels et hommes d’État, fut souvent poreuse dans les conflits congolais. »
L’ombre de la CPI
Le procès Lumbala s’inscrit dans la continuité des procédures internationales visant les crimes commis en RDC. Mais il s’en distingue par sa nature : c’est la justice française, via le principe de compétence universelle, qui juge des crimes congolais. Une première pour un ressortissant congolais, et un test pour ce dispositif juridique encore contesté.
Alors que des dizaines de témoins doivent encore défiler à la barre, une question demeure : les autorités congolaises laisseront-elles Bemba témoigner ? La réponse pourrait bien déterminer l’issue non seulement de ce procès, mais aussi des futures coopérations judiciaires entre la France et la RDC. Dans les couloirs du palais de justice, on chuchote que Kinshasa pourrait opposer une fin de non-recevoir, invoquant l’immunité diplomatique de son vice-Premier ministre.
Le procès Lumbala venait de s’ouvrir, il est déjà entré dans l’histoire.
